“L’imprimerie et la presse sont libres” : c’est par cette phrase lapidaire que s’ouvre la loi sur la liberté de la presse, promulguée le 29 juillet 1881 par le président de la République Jules Grévy. Après des mois de discussions à la Chambre des députés, votée à une écrasante majorité, la loi balaie plusieurs siècles de censure, de contrainte, de vexations et de répression de l’imprimé en général et de la presse en particulier. Aspect méconnu, elle octroie, pour la première fois de l’histoire, le droit aux femmes d’assurer la gérance d’un journal. En écho à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, la loi républicaine de 1881 définit un cadre, dont on hérite encore largement aujourd’hui, même si la mondialisation, puis l’émergence du numérique et des réseaux sociaux, ont bouleversé notre manière de concevoir la liberté d’expression et ses éventuelles limites. En 1881, la majorité républicaine a d’abord choisi de faire table rase de dizaines de lois, décrets et règlements contraignant imprimeurs, éditeurs, journalistes, fondateurs de journaux, colleurs d’affiches et colporteurs. L’exposition évoque ces règlements et lois sur la presse depuis l’Ancien Régime, jusqu’à la consolidation de la IIIe République à la fin des années 1870, avant de se focaliser sur la préparation de la loi sur la liberté de la presse, les discussions à la Chambre et les débats qui aboutissent à son vote en juillet 1881, par 444 voix contre 4.
Quels délits anciens ont été abandonnés ou maintenus ? Fallait-il intégrer à la loi un délit d’outrage à la République ou encore un délit d’outrage à la morale religieuse et donc au blasphème ? Comment les députés ont-ils conçu la loi, quelle est sa philosophie ? A quel type de presse son application a le plus profité ? Quelles conséquences, pour la société en général, et pour la vie démocratique en particulier ? Des journalistes ont-ils été emprisonnés après 1881 ? Et comment, dans les années ou les décennies qui ont suivi, la loi a-t-elle été amendée, adaptée, voire parfois mise entre parenthèse ?
Exposition composée d'une affiche, d'une introduction, de 32 panneaux thématiques et d'une dizaine de panneaux bonus. Elle peut être présentée en tout ou partie, en fonction de la place dont vous disposez. Les panneaux sont à imprimer par vos soins sur le support de votre choix aux formats A3, A2, A1 et jusqu’à un mètre de hauteur. Redevance pour Mairies, Médiathèques, Centres culturels, Universités : 400 euros TTC. Collèges et lycées : 100 euros (format A3).
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C’est au 17e siècle que naît la presse en France, avec notamment le lancement en 1631 par Théophraste Renaudot d’une Gazette qui parviendra à obtenir le monopole royal, et coiffera au poteau ses concurrentes, en accompagnant et suscitant une vogue pour ces parutions périodiques régulières en dehors du royaume. Les journaux touchent alors un lectorat réduit. Depuis longtemps, des feuilles volantes s’intéressent à “l’actualité”, aux événements fabuleux, aux faits-divers, aux “nouvelles” parfois très exotiques. Dans la France de l’Ancien régime, le contrôle des imprimés reste très sévère jusqu’en 1789, effectué par une multitude d’institutions (pouvoir royal, université, etc.), ce qui n’empêche pas les gravures séditieuses ou licencieuses de circuler clandestinement. Sous l’Ancien régime, des auteurs de gravures ou de pamphlets ont été emprisonnés et parfois pendus, alors qu’en Angleterre les dessinateurs disposent depuis la fin du 17e siècle d’une importante liberté d’expression.
Un arrêt de 1723 vise à interdire toute publication “contre la religion, le service du roi, le bien de l’État, la pureté des mœurs, l’honneur et la réputation des familles et des particuliers”. En 1757 une ordonnance stipule que “les écrits tendant à attaquer la religion, à émouvoir les esprits, à donner atteinte à notre autorité, et à troubler l’ordre et la tranquillité de nos États, seront punis de mort”. La Révolution de 1789 va profondément modifier le contexte de la presse. Les cahiers de doléances réclament ainsi “la liberté indéfinie” pour les journaux, mais tout en souhaitant des mesures contre les “abus” des auteurs et des imprimeurs, restrictions que l’on retrouve dans l’Article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 : “La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.” Cette période révolutionnaire est marquée par une grande effervescence politique qui s’appuie sur la production d’un grand nombre de périodiques et pamphlets. La liberté permet également la diffusion des images, satiriques ou non, favorables ou hostiles à la Révolution en cours.
Pendant le premier tiers du 19e siècle, les régimes autoritaires appuient leur stabilité sur la censure de l’imprimé. Les journaux doivent soumettre une demande d’autorisation pour pouvoir paraître. Sous le Premier Empire, de nombreux journaux sont supprimés pour n’en conserver qu’un seul par département, soumis aux autorités. En 1819, la loi Serre (ministre de la Justice de l'époque) veut que “tout outrage à la morale publique et religieuse, ou aux bonnes mœurs [...] sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an, et d'une amende”. 1822 voit l’établissement d’un délit d’outrage aux religions reconnues par l'État (blasphème). Plus tard en 1830, le roi Charles X (en haut à droite) suscite la colère en signant le 25 juillet quatre ordonnances, dont la première permet de suspendre la liberté de la presse périodique tout en rétablissant l'autorisation préalable renouvelable tous les 3 mois. Les brochures de plus de vingt pages sont également visées, toute contravention à cette première ordonnance étant punie par la destruction et ou mise sous scellés des ouvrages. La population chasse Charles X au profit de Louis-Philippe, qui adopte une Charte dans laquelle la censure préalable de la presse est “définitivement” abolie. Les mois et les années passant, saisies et procès se multiplient, jusqu’au rétablissement de la censure préalable pour les caricatures en 1835, et la mise au pas de la presse républicaine.
Sous l'Ancien régime, en 1810, 1830 et 1840, différents textes encadrent l'imprimerie en France, sans manquer d'avoir une incidence sur la liberté d'expression. En 1728 déjà, la loi imposait aux imprimeurs que “la porte de leur imprimerie ne sera fermée pendant le temps de leur travail que par un simple loquet. Leur défendons d’avoir, dans les maisons où ils impriment, aucunes portes de derrière, par lesquelles ils puissent faire sortir clandestinement aucun imprimé”. Le 5 février 1810, par décret, Napoléon réglemente de nouveau sévèrement l’imprimerie et la librairie. Pour l’empereur, “l’imprimerie est un arsenal qu’il importe de ne pas mettre à la disposition de tout le monde… Le droit d’imprimer n’est pas du nombre des droits naturels. Celui qui se mêle d’instruire fait une fonction publique, et dès lors, l’État peut l’en empêcher”. Napoléon limite le nombre des imprimeurs, qui foisonnent depuis la Révolution de 1789, et leur impose d’obtenir un brevet et une assermentation. Jusqu’en 1870, année de suppression du brevet d’imprimerie (10 septembre), les autorités, en contrôlant les imprimeurs, ne manqueront pas d’exercer des pressions sur la presse. Dorénavant, l’imprimeur doit “seulement” déclarer son activité auprès du ministère de l’Intérieur.
En 1835, suite à un attentat le visant, Louis-Philippe fait voter une loi imposant qu’“aucun dessin, aucune gravure, lithographie, médaille et estampe, aucun emblème ne peuvent être publiés, exposés ou mis en vente sans l'autorisation préalable du ministre de l'Intérieur à Paris et des préfets dans les départements.” Jusqu’en 1881, la censure préalable ne s’impose qu’aux images, mais la presse demeure sous contrôle par le recours au droit de timbre et au cautionnement, ainsi qu’à toutes les restrictions a posteriori prévues par la loi. Les autorités peuvent faire saisir les journaux pour ensuite les condamner par voie de procès et éventuellement jeter en prison journalistes et patrons de presse, ou encore suspendre certaines publications. Jusqu’en 1881, la Révolution de 1848 constitue une parenthèse libérale. Mais si la liberté est largement retrouvée, les républicains modérés et le nouveau président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, ne cessent de vouloir museler la presse.
Dans les deux premiers tiers du 19e siècle, les autorités voient dans les journaux, plus populaires que les livres (trop coûteux), des vecteurs de désordres sociaux. Il s’agit surtout de rendre la presse moins accessible aux “classes dangereuses”, appelées à se révolter périodiquement. C’est la fonction du “timbre”, instauré en 1819 par la loi Serre, taxe au numéro qui ne frappe pas les abonnements (bien trop chers pour les gens du peuple). Cette taxe pèse uniquement sur les journaux vendus en librairies, en kiosques ou à la criée. Le montant de la taxe peut être fixé en fonction de la taille du journal, il s’ajoute aux éventuels frais postaux.
Autre moyen de pression sur la presse, le cautionnement, qui vise spécifiquement les journaux politiques, favorisant donc le développement d’une presse sage et divertissante. C’est une somme d’argent conséquente qu’un gérant doit verser au Trésor public pour obtenir l’autorisation de créer un journal politique. Les quotidiens sont particulièrement visés. Abandonné suite à la déroute de Charles X, le cautionnement est réintroduit pour les quotidiens par la loi du 14 décembre 1830 et pour les autres périodiques avec la loi du 18 avril 1831. En 1835, si le journal ou écrit périodique paraît plus de deux fois par semaine, le cautionnement est de cent mille francs. Le cautionnement sera de soixante-quinze mille francs, si le journal ou écrit périodique ne paraît que deux fois par semaine. Il sera de cinquante mille francs, si le journal ou écrit périodique ne paraît qu’une fois la semaine. Il sera de vingt-cinq mille francs, si le journal ou écrit périodique paraît seulement plus d’une fois par mois… Après avoir été levé en février 1848, le cautionnement est rétabli par la loi du 16 juillet 1850 : les journaux politiques doivent verser une caution au Trésor public (de 1 800 à 24 000 francs selon le lieu de publication et la périodicité).
Les journaux ont l’obligation de publier les annonces officielles en première page. Les délits de presse relèvent des tribunaux correctionnels (les jurys populaires étant plus cléments) et les amendes doivent être payées dans un délai de trois jours seulement. Deux condamnations en moins de deux ans, et le journal est supprimé. En cas de manquements, les journaux reçoivent un avertissement. Deux avertissements : entraînent la suspension momentanée du journal, donc une baisse des ventes. En cas de récidive, le journal est supprimé. De telles mesures limitent drastiquement le nombre de journaux s’intéressant à la politique.
Jusqu’en 1881, chaque loi de censure égraine les très nombreux délits de presse, jugés après publication. Il peut s’agir de l’offense au roi ou à l’empereur, de la provocation au crime, de la critique du régime ou du gouvernement, de la défense d’un autre régime politique, de l’appel réel ou supposé à la sédition, etc. Sous le Second Empire, comme entre 1835 et 1848, les images sont soumises à autorisation préalable, comme sous Louis-Philippe après 1835. Mais Napoléon III ajoute une difficulté : le dessinateur doit obtenir l’autorisation écrite de toute personne qu’il souhaite caricaturer. Les journaux républicains prennent l’habitude de publier les autorisations autographes, occasion de dénoncer cette contrainte supplémentaire. Les dessinateurs républicains multiplient alors les portraits-charges de journalistes rebelles, manière de narguer le pouvoir. Lamartine, l’ancien candidat à la présidentielle de 1848, refuse de son côté d’accorder son autorisation, au nom du respect de la création divine. Pour le croyant, comme l’homme a été créé à l’image de Dieu, la caricature constitue une injure à la divinité.
À la fin des années 1860, le régime de Napoléon III se libéralise. A partir du 19 janvier 1868 et jusqu’au 11 mars, le Corps législatif discute d’une loi sur la presse, rapportée par l’avocat député bonapartiste Henri Nogent-Saint-Laurens. Les députés libéraux réclament la fin du cautionnement. La loi le maintient, ainsi que le cautionnement, le timbre, la réglementation du colportage et continue de reconnaître à l'administration le droit d'interdire la vente des journaux sur la voie publique. Elle supprime néanmoins le système des avertissements et l'autorisation préalable : une simple déclaration suivie du versement du cautionnement suffisait pour fonder un journal. De nombreux journaux se créent alors, dont la fameuse Lanterne de Jean Rochefort, mais également Le Monde et Le Temps.
La chute de Napoléon III et la proclamation de la République le 4 septembre 1870 ne changent pas durablement le régime de la presse. Après quelques mois de liberté retrouvée (suppression du timbre et du cautionnement), et surtout après l’écrasement de la Commune, la majorité conservatrice à la Chambre des députés restaure les divers outils juridiques et réglementaires permettant de contrôler la presse comme dans les décennies précédentes. L’autorisation préalable pour les dessins de presse est rétablie, la loi du 6 juillet 1871 restaure la correctionnelle en cas de délit de presse (jugements prononcés par des professionnels et donc plus répressifs), ainsi que le cautionnement pour tous journaux politiques et non politiques. Le 16 septembre, le papier de presse subit une surtaxe, équivalent du timbre, à quoi s’ajoute un doublement des frais d’acheminement postaux. L'état de siège étant maintenu dans 42 départements jusqu'en 1875, à Paris, Marseille et Lyon jusqu'au 4 avril 1876, l’autorité militaire garde la main sur la presse. Certains journaux sont supprimés, d’autres suspendus, d’autres encore interdits de vente sur la voie publique.
Au 19e siècle, l’homme politique est indissociable du journal. La plupart des grandes figures de la vie politique jusque dans l’entre-deux-guerres disposent d’un organe de presse, quotidien ou hebdomadaire, ou publie régulièrement dans un journal. La tribune parlementaire se double bien souvent d’une tribune médiatique, les deux se nourrissant mutuellement. Dans les années 1870 comme sous le Second Empire, pour Gambetta, Rochefort, Clemenceau, Jaurès, Emile de Girardin et tant d’autres, une loi libéralisant la presse et libérant le journaliste des pressions administratives et gouvernementales est indispensable.
Tout au long de l’année 1874, les quotidiens annoncent une discussion imminente d’une loi sur la presse. Occasion, pour les caricaturistes, d’évoquer la situation peu enviable des journaux et des journalistes. La discussion porte surtout sur le fait de savoir s’il faut dissocier ou fusionner les lois sur la presse et sur l’état de siège. L’état de siège est supprimé en 1875 et 1876, mais la presse reste corsetée.
D’élection en élection, les républicains s’imposent dans le pays. La Chambre des députés et le Sénat désignent le 30 janvier 1879 un président de la République enfin républicain, Jules Grévy, dont les pouvoirs sont limités, car les lois constitutionnelles de 1875 cantonnent la fonction présidentielle à un rôle de représentation. Les luttes politiques favorisent l’émergence de figures de premier plan tels Gambetta, Rochefort, Jules Ferry, et même de femmes comme Louise Michel. Des lois républicaines votées pendant ces années fondatrices, celles qui concernent l’école et donc l’Église catholique, déclenchent les plus vifs débats. Les lois Ferry prévoient de rendre l’école gratuite, laïque et obligatoire. Des congrégations religieuses sont interdites. Il est notable de constater que, malgré leur majorité à la Chambre des députés depuis 1876, les républicains attendent le 29 juillet 1881, pour enfin voter une loi qui libéralise la presse. Jusqu’au vote de celle-ci, même si un assouplissement est notable et le nombre de journaux en nette augmentation, la censure poursuit son œuvre contre la presse.
Dans les années 1870, la caricature reste soumise à la censure préalable, comme après 1835 ou sous le Second Empire. Le dessinateur apporte son dessin à l’administration pour obtenir (ou non) l’autorisation de publier. Il faut encore demander une autorisation écrite à toute personne dont on souhaite publier la caricature. En avril 1880, le journal quotidien La Presse, réclame une égalité de traitement pour la caricature : “Nous ne cesserons de réclamer la liberté complète pour le crayon comme pour la plume. La pensée humaine ne peut être limitée dans ses moyens d'expression. L'orateur, l'écrivain, le dessinateur, propagent leurs idées à l'aide d'instruments divers ; on ne saurait interdire au dessinateur des critiques permises à l'orateur ou à l'écrivain. (...) Cette façon d'entendre la réglementation de la caricature était logique sous la monarchie ; elle déshonore une République démocratique”. Certains dessinateurs amputent leur œuvre pour obtenir l’accord de la censure (ci-dessous), d’autres substituent un texte à l’image interdite.
Dans la seconde moitié des années 1870, diverses propositions de loi relatives à la presse sont présentées à la Chambre des députés. En décembre 1877, le député Eschassériaux souhaite abroger la loi du 29 décembre 1875. Le 5 novembre 1878, Alfred Naquet propose à son tour d'abroger un certain nombre de dispositions législatives qui restreignent la liberté de la presse. Les propositions de loi présentées sont soumises à une commission chargée de rédiger un projet de loi, avec à sa tête le patron de presse Émile de Girardin et Eugène Lisbonne (vice-président et rapporteur). Un premier rapport est présenté à la Chambre le 5 juillet 1880, les premières délibérations ayant lieu les 24, 25 et 27 janvier 1881. Un rapport supplémentaire est soumis le 29 janvier, suivi d’autres délibérations les 29 et 31 janvier, 1er et 5 février, puis les 15, 16 et 17 février. Si les débats sont vifs, il s’agit presque d’une formalité, aucune force parlementaire ou sociale d’envergure n’étant hostile à la libéralisation du droit de la presse. Conséquence, le projet de loi est adopté par 444 voix contre 4, puis transmis au Sénat le 24 février. Le 16 juillet, le Sénat adopte à son tour la proposition de loi, après l’avoir amendée. Le 21 juillet, le projet amendé du Sénat revient en discussion à la Chambre des députés qui adopte définitivement la loi. Des rectifications sont votées le 25 juillet à la Chambre, puis par le Sénat le 26 juillet. La loi sur la liberté de la presse est promulguée par le président de la République le 29 juillet 1881.
La loi du 29 juillet 1881 consacre un droit républicain fondamental, celui de la liberté d’expression, tout en encadrant ce droit et en lui apportant certaines limites. Dans son premier article, la loi nouvelle pose un principe fort libéral et fondateur qui stipule que “L'imprimerie et la librairie sont libres”. Abordant la question de manière globale, elle revient sur plusieurs siècles de législation en matière d’imprimerie, de presse, de diffusion, de vente et d’affichage des imprimés textes et images, réduisant drastiquement la liste des crimes et délits envisagés et rétablissant dans son intégralité (sauf quelques exceptions), la juridiction du jury. La loi définit les termes du dépôt légal (principalement conçu pour enrichir les collections nationales), elle supprime le cautionnement et le timbre, ainsi que la censure préalable des images. Les journaux, dont le nombre augmente depuis quelques années, vont connaître une forte augmentation de leurs tirages dans les années qui suivent.
La loi retient un certain nombre de délits comme la provocation aux crimes ou délits suivie d'effet, la provocation non suivie d'effet aux crimes de meurtre, pillage, incendie et crime contre la sûreté de l'État, la provocation aux militaires pour les détourner de leurs devoirs, l’offense au président de la République, la publication de fausses nouvelles ayant troublé la paix publique, la diffamation et l’injure, l’offense et outrage envers les chefs d'État ou agents diplomatiques étrangers, et enfin l’outrage aux bonnes mœurs. La saisie préventive est également abandonnée. L’ensemble des peines prévues est revu à la baisse par rapport aux législations antérieures. La loi abroge de nombreux délits dont les attaques contre la Constitution, le principe de la souveraineté du peuple et du suffrage universel (article 1 du décret du 11 août 1848), les attaques contre le respect dû aux lois et à l'inviolabilité des droits qu'elles ont consacrés (décret du 27 juillet 1849), les attaques contre la liberté des cultes, le principe de la propriété et les droits de la famille (décret du 11 août 1848), la provocation à la désobéissance aux lois (loi du 17 mai 1819), l’excitation à la haine et au mépris du gouvernement (décret du 11 août 1848), l’excitation à la haine et au mépris des citoyens (décret du 11 août 1848), l’exposition publique, distribution ou mise en vente de signes ou symboles séditieux (idem), l’outrage à la morale publique et religieuse (loi du 17 mai 1819), l’outrage à une religion reconnue par l'État (loi du 25 mars 1822) et enfin l’offense envers les Chambres (loi du 17 mai 1819 et décret du 11 août 1848).
Tout au long de l’année 1881, la loi sur la liberté de la presse est discutée à la Chambre des députés et au Sénat. Certains parlementaires envisagent un délit d’outrage à la République, comme le fait l'avocat Théophile Marcou, au nom des ruraux : “si vous insultez devant eux la République, vous soulèverez leurs colères, leurs répulsions et leurs indignations profondes. La République, pour eux, c'est le drapeau français, c'est le salut, c'est l'espoir de l'avenir”. Pour le radical Clemenceau qui lui répond, “cette liberté, c'est l'intérêt suprême de la République, ou plutôt c'est la République elle-même [...]. Laissez tout attaquer, à condition qu'on puisse tout défendre... Je dirai même : laissez tout attaquer afin qu'on puisse tout défendre ; car on ne peut défendre honorablement que ce qu'on peut attaquer librement." L’outrage à la République est rejeté. La liberté nouvelle profite notamment aux publications antirépublicaines d’extrême droite, assez lourdement condamnées jusqu’au vote de la loi et qui, dorénavant, n’hésitent pas à caricaturer violemment les symboles républicains.
De semaine en semaine, la discussion parlementaire évoque également la question de l’outrage à la morale religieuse précisé par une loi de 1819, héritée directement du délit de sacrilège qui prévalait sous l’Ancien régime. Ce délit a notablement protégé l’Église catholique des attaques des républicains libres penseurs. Le 14 février, “Monseigneur” Freppel, député catholique, explique qu’il ne “votera pas la loi (…) parce qu'elle repose sur un principe qui me paraît absolument faux, à savoir qu'il n'y a pas, légalement parlant, de délits de doctrine. (…) Je ne voterai pas la loi parce qu'en supprimant le délit d'outrage à la morale publique et religieuse, aux religions reconnues par l'État, c'est-à-dire à Dieu, à tout ce qu'il y a de plus auguste et de plus sacré dans le monde, elle livre, elle abandonne, elle sacrifie ce qu'elle a le devoir et la mission de protéger et de défendre”, à quoi Clemenceau répond que ”Dieu se défendra bien lui-même. Il n'a pas besoin pour cela de la Chambre des députés". Le délit d’outrage à la morale religieuse sera rejetée par une majorité de parlementaires, permettant notamment l’expression d’une caricature antireligieuse et athée, soumise à la répression de la loi jusqu’alors.
Dans la lignée des lois précédentes, celle de 1881 sur la liberté de la presse accorde une attention particulière à l’outrage aux bonnes mœurs. Si la loi abandonne toute saisie préventive pour les autres délits, elle retient le procédé pour les images obscènes, qui sont jugées en correctionnelle et non aux Assises. L’ensemble des peines prévues est revu à la baisse par rapport aux législations antérieures, sauf pour cet outrage aux bonnes mœurs pour lequel le législateur prévoit d’appliquer un doublement des peines par rapport aux législations antérieures (deux ans d’emprisonnement au lieu d’un an). C’est au nom de cette loi de 1881 que le dessinateur Lavrate (ci-dessous) est jugé et condamné à de la prison ferme en 1882 pour un dessin jugé immoral, et que le contexte religieux rend alors d’autant plus sensible. Le journal La Calotte de Marseille écope d’une même condamnation en 1899 pour avoir figuré Marie enceinte. L’outrage aux bonnes mœurs sert de substitut à l’outrage à la morale religieuse, abandonné par la loi de 1881.
En son article 25, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit expressément un délit pour provocation aux militaires. L'article, directement inspiré de la loi du 27 juillet 1849, avec une définition encore plus rigoureuse du délit, précise que “toute provocation par l'un des moyens énoncés en l'article 53, adressée à des militaires des armées de terre ou de mer, dans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l'obéissance qu'ils doivent à leurs chefs dans tout ce qu'ils leur commandent pour l'exécution des lois et règlements militaires, sera punie d'un emprisonnement d'un à six mois et d'une amende de 16 francs à 100 francs". Le législateur a également prévu emprisonnement et amende pour délit de diffamation commis envers les armées de terre et de mer. Dans les années et les décennies qui suivent, de très nombreux journalistes seront emprisonnés pour leur engagement antimilitariste et notamment ceux de La Guerre sociale. Deux dessinateurs seront également emprisonnés, Alfred Le Petit en 1889 et Aristide Delannoy en 1908, pour des caricatures visant l’armée.
Dans les années 1890, des anarchistes organisent une série d’attentats. Auguste Vaillant jette une bombe en plein cœur de la Chambre des députés le 9 décembre 1893. Le 24 juin 1894, le président de la République Sadi Carnot est assassiné par l’anarchiste Caserio. Face à la vague anarchiste, les députés votent trois lois dont la première concerne directement la presse, en ajoutant à la loi de juillet 1881 un délit de provocation indirecte (et non plus directe) et d’apologie de crime. Saisies et arrestations préventives sont également votées. La troisième loi du 28 juillet 1894 cible précisément la propagande anarchiste en correctionnalisant l’ensemble des délits d’apologie et de provocation anarchistes. Ces lois dites “scélérates”, dénoncées alors par les députés socialistes (dont Jaurès), seront abrogées en 1992.
La loi du 29 juillet 1881 profite à deux secteurs de la presse : les journaux politiques ou d’information et la presse satirique. Dans les années qui précèdent le vote de la loi, nombre de journaux voient leurs tirages augmenter, préfigurant un mouvement général d’expansion du lectorat. Avec la loi, le journaliste n’est plus menacé pour ses opinions, la polémique bat son plein, la presse politique accompagne et nourrit les crises politiques et sociales et permet à l’opinion publique de se constituer véritablement. A partir des années 1990, le tirage de certains quotidiens dépasse le million d’exemplaires.
Pour fonder un journal, la loi supprime le cautionnement mais impose une déclaration préalable, une identification du gérant, et enfin le dépôt légal. La déclaration contient le titre du journal ou de l'écrit, son mode de publication, le nom et l'adresse du gérant et l’identité de l'imprimeur. Elle est signée par le gérant, qui doit être Français, majeur et jouir de ses droits civiques. La loi du 29 juillet apporte une innovation rarement évoquée : dorénavant, les femmes peuvent exercer la gérance des journaux, ce qui n'était pas possible auparavant. Rien d’évident pour autant. Le garde des Sceaux de l’époque précise que “le doute pouvait provenir de ce que les femmes n'ont pas la jouissance des principaux droits civiques; mais cette circonstance ne les exclut pas de la gérance ; on devra seulement exiger d'elles qu'elles n'aient subi aucune des condamnations qui font perdre les droits civiques aux Français mâles et majeurs”. Avant la loi de 1881, un certain nombre de femmes écrivaient déjà dans la presse. Dorénavant, elles peuvent, comme Marguerite Durand avec son journal La Fronde (photos en bas à droite), fonder un périodique sans recourir à quelque présence masculine que ce soit.
Autres grands gagnants de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, les journaux satiriques. La loi ayant mis fin à la censure préalable des dessins, gravures et emblèmes, les caricaturistes ont toute latitude pour commenter la vie politique et sociale. Pour autant, si la loi se montre dorénavant libérale, divers moyens de pression peuvent être utilisés : certains diffuseurs privés (Hachette par exemple) refusent de distribuer tel ou tel journal. Ou encore, les préfets peuvent interdire les journaux d’affichage en kiosque en attendant un éventuel procès, ce qui pénalise les ventes.
La loi de juillet 1881 libéralise également l’affichage : la profession d'afficheur est libre. Elle n'est assujettie à aucune formalité, la déclaration à l'autorité municipale, comme le prévoyait l'article 2 de la loi du 10 décembre 1830, est supprimée. Aucun interdit ne pèse plus sur les affiches à caractère politique, comme le prévoyait la loi du 10 décembre 1830. Quelques dispositions protègent les affiches de l'autorité et les affiches électorales. Le maire désigne par un arrêté les lieux ou emplacements destinés à recevoir les affiches de l'autorité, à l'exclusion des affiches des particuliers. Les professions de foi, circulaires et affiches électorales peuvent être placardées sur tous les édifices publics (sauf édifices religieux), en dehors des places réservées aux affiches de l'autorité. L'article 17 prévoit des sanctions contre ceux qui enlèvent, déchirent, recouvrent ou altèrent par un procédé quelconque, les affiches de l'administration ou les affiches électorales régulièrement placardées.
Pendant la Grande Guerre et lors de la Seconde Guerre mondiale, les autorités restaurent la censure préalable, mettant entre parenthèses la loi du 29 juillet sur la liberté de la presse. Chaque journal doit présenter aux autorités publiques ou militaires une “morasse”, c’est-à-dire un premier tirage, pour obtenir l’autorisation de poursuivre l’impression et d’entamer la diffusion publique. La censure demande des modifications, supprime des passages d’articles ou des dessins, comme on peut le constater avec les nombreux “blancs” présents dans la presse. Pendant la drôle de guerre, la censure est restaurée et largement débattue au parlement. Après la débâcle de juin 1940, l’occupant nazi, tout comme les autorités françaises collaborationnistes, contrôlent sévèrement la presse qui retrouvera sa liberté à la Libération. A la Libération en France, la liberté de la presse se fait au prix de la disparition de tous les journaux collaborationnistes ou ayant continué à paraître après 1943. Avec l’épuration, des centaines de journalistes sont condamnés, certains seront fusillés. Après une vague de création de nouveaux titres, nombreux sont les journaux à disparaître, confrontés à des problèmes économiques, posant la question, encore très actuelle, des subventions publiques accordées à la presse.
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse va connaître bien des aménagements et des entorses, pendant les guerres notamment. La loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse aura à son tour un impact non négligeable sur la liberté d’expression. Au nom de la protection de la jeunesse contre l’indécence, elle sera notamment utilisée contre Hara-Kiri et Charlie-Hebdo. De nouveaux médias apparaissent, comme la radio, puis la télévision, largement contrôlés par le pouvoir. Avec le retour de de Gaulle aux affaires en 1958, les autorités multiplient saisies et procès contre journaux et journalistes, la guerre d’Algérie servant de prétexte à une répression des opinions. Plus proche de nous, des lois nouvelles sur le négationnisme, la haine raciale ou encore le droit à l’image enrichiront le cadre réglementaire posé par la loi de 1881. La révolution médiatique que nous connaissons avec l’émergence du numérique impose de nouveaux enjeux à la liberté d’expression. Malgré cela, la France contemporaine hérite encore très largement de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, loi fondatrice de la République.